Tout était nuancé de vert. L'herbe était dense sous son pied, et il surplombait une série de cascades impressionnantes. Il n'arrivait pas à situer ce lieu et n'osait pas demander à l'elfe qui l'accompagnait où ils se trouvaient. Sa forme onirique était toujours vêtue de l'uniforme et du tabard et bien que son image se trouble par moments, comme si les particules qui composaient son image dans ce lieu irréel – l'était-il vraiment? - s'écartaient l'une de l'autre puis se rapprochaient pour à nouveau former un ensemble cohérent, il arrivait à tout ressentir, globalement: les plantes caressant ses chevilles, le vent, fort à cette altitude, qui pourtant ne le forçait pas à se braquer pour ne pas perdre l'équilibre, les gouttelettes qui lui parvenaient malgré la distance qui le séparait des rivières et des chutes. Les oiseaux piaillaient et un chant résonnait, en fond, émanant du sol comme du ciel. La voix était grave mais douce, et elle semblait être plutôt un murmure qu'un chant véritable. Ça ne durait jamais longtemps, quelques secondes tout au plus, et chaque fois qu'il levait la tête pour écouter, le vieux druide le lui faisait remarquer. Plus bas, dans l'eau, on pouvait distinguer dans l'étang où les cascades finissaient une forme énorme.
Mais quelque chose clochait.
L'herbe était fanée et sèche. Les plantes étaient mourantes et le vent amenait avec lui une odeur de putréfaction désagréable. Les gouttes lui semblaient acides et la forme, sous l'eau, lui apparaissait cauchemardesque. Et ces sensations se faisaient plus douloureuses quelques instants, juste après avoir entendu ces éclats de voix, ces fragments d'une chanson. Pourtant, son mentor, lui, ne semblait pas dérangé. Au contraire, il commença à prendre la parole, et Akhal, par crainte d'être irrespectueux ou bien que tout ça fût normal, fit taire ses inquiétudes et l'écouta, religieusement.
«Le Rêve n'existe pas depuis toujours, jeune Akhal. Même avant les dragons, il n'était là; c'est en naissant qu'Ysera y fût liée. La Maîtresse des songes porte bien son nom: ici, elle règne. C'est à la fois celle qui peut façonner ce monde, le modifier, et celle qui maintient sa cohésion. Les dragons verts gardent un lien très étroit avec le songe. Certains ont même été corrompus lorsque le Rêve le fût aussi. Viens, maintenant. Je vais te montrer..»
L'elfe fit un signe, et alors qu'en réalité il aurait dû changer de forme, ici, ce fût un corbeau qui répondit à l'appel et posa ses énormes serres sur les épaules du druide. Celui-ci attrapa Akhal sous les épaules et, sans un mot, l'énorme volatile décolla et il sembla au gilnéen que le temps – notion tout à fait abstraite ici – s'accéléra soudainement. Des lieues et des lieues défilaient sous ses yeux en quelques secondes à peine. Enfin, ils furent déposés.
Devant eux se tenait un énorme édifice en plein cintre. Des runes couraient sur son contour et à l'intérieur, comme un tissu de magie. Akhal l'identifia aussitôt comme l'un des portails. Tout autour, une chaîne de montagnes.
«Tu dois reconnaître ces lieux. Ici se trouve le portail de ce qu'on appelle à présent le Bois de la Pénombre. Il y en a trois autres semblables en Azeroth: en Orneval, en Féralas, et aux Hinterlands. Ils se sont ouverts dans les racines de l'Arbre-Monde. Après la bataille qui a secoué Hyjal, une corruption sans pareille s'est étendue sur les terres du Rêve. Jeune Akhal.. Même les dragons verts ont été atteints. Les quatre lieutenants d'Ysera sont devenus fous et se sont extirpés du Cauchemar par ces portails. Ils ont été achevés pour le bien des races mortell..
-Excusez-moi.. Mais.. Je ne me sens.. Vraiment pas bien et je crois que je devrais me réveiller?..»
Le druide – ou plutôt son esprit - fronça légèrement les sourcils et posa son regard perçant sur lui.
«Tu devrais arrêter de dire des absurdités, jeune Akhal. Surtout quand tu m'interromps en le faisant. Si tu te réveillais maintenant, les conséquences seraient désastreuses. Ne t'en rends-tu pas compte seulement en observant tout autour de toi?»
Les montagnes se tordaient en des pics difformes et le ciel, d'habitude clair, arborait ses plus noirs couleurs et s'était paré de nuages aux formes monstrueuses; le sol lui brûlait les pieds et l'air lui manquait.
«N'oublie pas, mon élève: ici, tout ne dépend que de toi. Choisis que ton rêve soit désagréable et il le sera. Bien sûr, en ce moment, ton esprit est influencé par ton corps souffrant: mais avec de l'entraînement, tu seras capable d'oublier toute douleur. De l'entraînement, beaucoup, car en étant trop gourmand, tu pourrais vouloir rester là et ressentir une telle félicité que rien ne pourrait te ramener auprès des tiens. Nous allons nous y mettre maintenant, et ainsi, tu seras capable d'oublier ces désagréments et te concentrer pleinement sur ce que je t'enseigne. Assieds-toi.»
Il s'exécuta. Il trouvait discutable que l'elfe de la nuit ne cherche pas avant tout à chercher un moyen de soigner son corps et ainsi de chasser la folie qui lui était promise s'il le réinvestissait au profit de son enseignement. Mais, longtemps, il avait erré seul dans les landes des songes, et quand il avait senti la présence de son maître, il s'y était accroché comme à une bouée lancée en mer.
Combien de temps devrait-il attendre avant d'enfin les retrouver et sentir à nouveau la tranquillité dans ses bras?